L'Inde et ses épices. L'Inde et ses saveurs. L'Inde fait rêver les amateurs de bonne chaire. En tous cas, l'Inde me faisait rêver. Après presque un mois passé en Inde du Nord, je dois dire que j'en reviens un peu, voire beaucoup. Disons-le tout de suite, je n'ai pas eu l'expérience culinaire que j'attendais, peut-être trop. Et pourtant, après deux semaines au Népal, j'avais faim! Et j'ai plutôt tendance à aimer la cuisine indienne, pour ce que j'en connais.
Bon, par où commencer ?
Durant ce petit mois, j'ai testé la cuisine familiale, une fois, dans la famille de notre chauffeur, pour un déjeuner: un thali bien traditionnel. C'est celle qui m'a le plus emballée, goutue, variée dans ses saveurs. Mais un des rares moments où je me suis dit "c'est vraiment bon, j'en reprendrais bien". Ce fut épicé, accompagné du classique "naan", un pain plat et tendre qui sert à prendre le riz et les accompagnements (patates, poivrons, haricots, et lentilles dans une petite soupe). Néanmoins, ce ne fut pas hallucinant. Mais je n'étais pas dans un restaurant non plus. Cela dit, en tant qu'étranger, cela aurait très bien pu l'être. Je veux dire par là que mon statut de "foreigner" biaise un peu les choses et les sublime souvent, grâce au plaisir de la découverte et de l'expérience différente qui me fut offerte, qu'on a parfois tendance à idéaliser.
Au cours de ces semaines, je suis allé dans un certain nombre de restaurants, allant du boui-boui (ou "joint", comme on dit) local au restaurant réputé, en passant par les restaurants d'hôtels plus ou moins luxueux, du bas de gamme au palace. Je n'ai pas beaucoup testé de street food, et vous dirai pourquoi. J'ai suivi les recommandations de locaux, ou bien ceux du Lonely Planet.
L'Inde est un pays sale, clairement. La saleté est partout, ce n'est pas un cliché, et ici, vous vous lavez les mains dès que vous pouvez. Les conditions sanitaires sont peu développées. Dans la rue, les détritus, bouses de vaches, mouches, chiens ou poulets errants et picorants ensemble dans les rassemblements d'ordures, eaux usées, odeurs nauséabondes et urinoirs à ciel ouverts sont légions, n'importe où, systématiquement. Des odeurs d'épices ou de fritures contrastent agréablement. Les gens crachent tout le temps, ou se raclent la gorge avec insistance. Dans un pays de plus d'un milliard d'habitants, ça grouille de partout. Dans les hôtels, c'est en général clean et différent. Dans les guesthouses, tout dépend de celle sur laquelle vous êtes tombé. Ca, c'est pour le décor.
En général, j'ai eu peur d'être malade. Environ 60 à 80% des étrangers le sont lorsqu'ils restent plus d'une semaine dans le pays, en ne buvant que de l'eau en bouteille bien sûr. J'ai donc été méfiant, vigilant, et n'ai pas mangé de viande durant la première moitié du voyage. Finalement, je n'ai pas été malade une seule fois. La seule viande que j'ai mangé était du poulet. Les amateurs de viande, comme moi, ne jubileront donc pas ici. Les épices ne m'ont pas dérangé, contrairement à Audrey. Les viandes disponibles sont le poulet et le mouton. Beaucoup de plats à base de "cottage cheese", un fromage ressemblant au tofu et sans véritable goût, mais aussi de champignons. Souvent, des plats crémeux à base de tomate, avec du cumin, de la coriandre (pas assez selon moi), du piment, et du gingembre, mélangés ensemble. Le fameux "panner massala, chicken massala ou mushroom massala", accompagné par exemple de riz. C'est bon, mais ce fut un plat que j'ai souvent pris par dépit, n'étant pas inspiré de nombreuses fois par les autres suggestions, et qui est assez vite devenu lassant. Beaucoup de restaurants sont végétariens, je dirais plus de la moitié. Les légumes présents sur le marché sont souvent les mêmes (haricots, poix, oignons, poivrons, tomates, aubergines). En discutant, je n'ai pas réussi à trouver différentes races de pommes de terre, ou d'oignons par exemple. J'ai donc tendance à penser qu'en dehors des épices (cumin, coriandre, piment, safran, tandoor et autres mélanges... je vais bien sûr en rapporter!), le nombre de produits disponibles est relativement faible. Je nuancerais en disant qu'en France, nous avons un éventail particulièrement riche. J'expliquerais cela par la difficulté à produire, à irriguer, et par un niveau de demande assez faible, compte tenu des moyens dont dispose la population en général. La faiblesse de la demande est à mon sens une raison de la faiblesse de l'offre, pour ce que j'en ai vu sur les marchés locaux. A noter qu'en food addict, j'ai systématiquement cherché et visité ces derniers dans toutes les villes que nous avons vues. Pour les fruits, l'offre était plus étoffée, avec des fruits plus exotiques, et souvent plein de saveurs, bien fruités et juteux, et dont la fraicheur ne fait aucun doute. Dans un autre registre, et toujours pour comprendre l'environnement culinaire, il faut savoir qu'il n'existe quasiment pas de chaîne du froid pour le moment. Tout est donc produit localement tant que faire se peut.
Dans ces conditions, la street food m'a peu inspiré. Peut-être à tort. Je suis pourtant curieux et avide de nouvelles expériences. La peur d'être malade m'a sûrement privé de découvertes intéressantes, notamment en voyant les conditions dans lesquelles étaient préparées les choses qui s'offraient devant moi. Une leçon à retenir pour les prochains pays? Le choix n'a cependant jamais été pléthorique. Il faut dire aussi que le fait d'être livré à soi-même, sans interlocuteur de confiance, pour se faire expliquer et partager, a manqué. J'ai regretté de ne pas pouvoir poser des questions, avoir des infos, sachant que les trois mots d'anglais que parlent les indiens qui tiennent ces boui-bouis, et le peu de confiance que j'accorde à leurs propos dans certains domaines, m'ont clairement freiné.
Dans les hôtels, généralement de moyenne gamme, les choix étaient souvent les mêmes, d'un hôtel à l'autre. Parfois, la carte était fournie, mais prendre un plat sans pouvoir savoir ce qu'il y a dedans et sans pouvoir le savoir, même en insistant, n'incite pas à prendre des risques. Ce fut différent dans les restaurants recommandés en ville. Par dépit, et ayant marre d'avoir dans mon assiette des plats qui se ressemblaient trop souvent, j'ai opté pour des pizzas ou des pâtes. Ce fut décevant, car ce ne sont pas des plats dont les indiens maîtrisent les subtilités. Les pizzas étaient soit épicées, soit fades. Sauf une à Delhi, dans un petit restau sans prétention pourtant. Les pâtes mal assaisonnées, et grossièrement préparées. Le fromage sur les pizzas était de la vache-qui-rit fondue. Les champignons pas ou peu cuits, comme la pâte. Les frites que j'ai régulièrement commandées en espèrant prendre un peu de plaisir n'étaient quasiment jamais cuites, et juste chaudes. Seules celles du Mac Donald (et d'un petit restau à Delhi, il est vrai) où je suis allé étaient correctes. Au bout d'un mois, j'ai envie de retrouver quelque chose qui me fasse plaisir. Finalement, c'est un peu ça, à part quelques rares fois (disons trois ou quatre), et en dehors de la découverte la première semaine et demie, je n'ai pas pris beaucoup de plaisir à manger en général, et me suis peu régalé. Même dans cet hôtel de luxe où le choix était malheureusement trop occidentalisé et asseptisé.
Parlons du coup de ces moments de plaisir : ce fut à Udaïpur, au Jagat Niwas Palace Hotel, ou à Jaïpur au restaurant "Four Seasons", ou encore dans cette famille indienne dont j'ai parlé précedemment. A Udaïpur, j'ai pris un chicken Tandori (la première fois où j'ai pris du poulet), un peu sec, accompagné d'une sauce crémeuse à la menthe et d'un peu de citron. Audrey a pris un Paneer Massala ("cottage cheese in a spicy gravy tomato sauce") excellent. L'assaisonnement - quelque chose trop souvent ignoré ici à mon sens - les proportions d'épices et leur dosage, et la saveur générale étaient clairement un niveau au dessus de tout ceux que j'avais pris auparavant. Ce n'était pas trop huileux, et bien homogène. A Jaïpur, j'ai tenté le "Chief' special" et en ai redemandé. Ce fut du poulet mariné dans du yahourt et des épices, baignant dans une sauce jaunie par le cumin, avec de la coriandre, des morceaux d'ananas et des noix de cajou grillées. Le mélange sucré-salé, parfois dérangeant ou mal dosé, était terrible. Tout ça mangé à la main (la main droite, toujours) grâce au cheese naan, avec du riz. Quelque chose de différent, onctueux, savoureux, qui ressemblait véritablement à la cuisine recherchée que j'attendais tant. A Jodhpur, chez "On the Rocks", les plats étaient bons, sans être à ce niveau. En général, les adresse du Lonely Planet sont valables. A Delhi, j'ai recherché en vain un restaurant étoilé. En effet, après un tour sur le site du guide Michelin, il n'existe pas de restaurant étoilé en Inde. Personnellement, j'étais au début surpris sans l'être. Cela confirmait un peu mon impression générale, mais je ne savais pas si c'était une question de faible demande (pourtant, il y a des ambassadeurs, diplomates, expatriés, riches industriels et leurs enfants etc... qui souhaitent à n'en pas douter jouir de ce qu'il y a de mieux et se faire voir), de manque d'experience de chefs locaux ou de niveau. Le guide Michelin n'est pas une bible, comme Robert Parker ne l'ai pas selon moi dans le vin, mais c'est une information qui peut être utile.
A propos du vin d'ailleurs, la seule fois où j'ai pris un verre de vin, cela fut sans grand intêret. D'une part parce que le choix était très restreint (deux rouges et deux blancs, sans indication d'année ou de viticulteur, juste de cépage), d'autre part, parce que le plat, relativement épicé, ne s'y prêtait que trop peu. Mais tout cela, c'était avant d'aller chez "Olive", un restaurant tenu par le meilleur chef indien (récompensé par le président indien lui-même en 2012), ayant 6 restaurants en Inde, où je suis allé pour déjeuner un midi quelques jours avant de quitter le pays. J'ai pu y retrouver des plats occidentaux correctement réalisés, respectueux des produits, parfaitement éxécutés, et ai pu rencontrer le chef et l'interwiever pendant plus d'une demi-heure sur son parcours, ses stages à l'étranger (en France, au Japon, ses rencontres avec les grands chefs étoilés occidentaux et asiatiques), ou encore sa chaine d'approvisionnement. Cette discussion fut une mine d'informations et particulièrement intéressante pour tous les passionés de bouffe. C'est à son contact que j'ai appris que le guide Michelin n'opérait qu'en Europe, aux USA, à HK, et au Japon. Pas étonnant du coup qu'il n'y ai pas de restaurant étoilé en Inde. Je regrette simplement de ne pas être allé le soir, car le menu est indien, et non occidental comme le midi.
Par ailleurs, j'ai recherché et trouvé les autres endroits réputés de la food-scène de Delhi, comme un restaurant fréquenté par Obama et Clinton ("Bukhara", vidéo-test à venir, et à ne pas rater, dès que You Tube sera accessible) dans le quartier des embassades. J'y ai très bien mangé, et ai pris le menu dégustation pour pouvoir tester un peu tout. J'ai été bluffé par ce que le chef de rang a apporté pour patienter pendant que je commandais, une petite soupe verte et crémeuse dans laquelle on trempe un roti (une galette de blé dure d'une dizaine de centimètres de diamètre), au gout prononcé, puissant, salé. Les plats ensuite étaient bons, à la cuisson parfaite, et le mouton à clairement surpassé le poulet dans ses saveurs. C'est la première véritable fois que j'ai senti que la viande s'était complètement imprégnée du yahourt épicé dans lequel elle avait reposé. Pour le mouton comme pour le poulet, il y avait 2 ou 3 préprations différentes, mais pas assez distinctes selon moi. La palette de saveurs n'était pas étendue comme on aurrait pu le penser. Il n'y avait rien qui jouait avec des fruits, de la menthe ou de la coriandre comme dans les autres endroits que j'ai appréciés, mais il y avait une réelle unité dans ce que j'ai eu la chance de goûter. Un choix du chef donc. Le service était très correct, sans être irréprochable (j'ai demandé dans un des bars de l'hôtel dans lequel le restaurant est situé un cocktail innovant, pas sur la carte, et le barman ne m'a pas proposé d'en changer si je n'appréciais pas - ce qui n'a pas été le cas. Dans ce genre de circonstances, à Londres, à Monaco ou parfois même à Paris, on m'a régulièrement proposé autre chose au cas où la prise de risque du barman ne satisfaisait pas le client). Petit détail pas très important, mais toujours intéressant à observer. Par contre, dans le restaurant, le chef de rang a été au top. J'ai pris un verre de vin - chose semble-t-il peu commune en voyant les bières que bon nombre de clients prenaient - et n'ai pas accepté celui qu'il m'a proposé (un Côtes du Rhône) en lui expliquant que le père d'Audrey était viticulteur dans le Sud de la France, et que je souhaitais donc quelque chose de différent. Alors que je discutais avec lui en fin de repas de la cuisine française, et de mon goût pour la bouffe, en rajoutant que j'étais notamment en voyage pour tester un certain nombre de restaurants en Asie, il m'a ainsi proposé en fin de repas de déguster certains vins, dont un indien, ainsi qu'un rhum haut de gamme indien (très intéressant, pas du tout sucré, et avec un retour sur la fin étonnant), a offert un dessert à Audrey quand je suis parti payer (ce qui s'est éternisé car leur machine à CB ne fonctionnait pas), nous a offert un petit cadeau en souvenir - ne pouvant vendre le tablier (qui est posé devant vous et sert de serviette) que je souhaitais acheter pour le rapporter - et un plat à cuisiner provenant de la marque du restaurant (un "Dal" à la Bukhara). Tout cela en plusieurs étapes, au milieu de discussions, ou en écoutant mon resssenti sur les vins qu'il m'a fait goûter (et on sentait que l'avis d'un français l'interessait particulièrement, comme une ou deux autres personnes du restaurant autour). Au top donc, nous avons été particulièrement gâtés et privilégiés ici. Delhi m'a donc réconcilié avec la nourriture et offre un contraste significatif avec les repas que j'ai pu avoir durant toutes ces autres semaines. Je reste du coup étonné qu'Anthony Bourdin n'est pas mentionné ces lieux dans sa superbe emission "No Reservation".
Enfin, l'Inde fut intéressante pour toutes ces petites choses que j'ai découvertes, comme les assortiments de céréales salées qui se mangent dans le creux de la main un peu n'importe où, façon apéritif, pour ces autres assortiments à base d'anis qui servent en fin de repas à se rincer la bouche quand on vous apporte l'addition, pour les jus de canne à sucre ou d'autres fruits fraichement pressés dans la rue, pour le chaï, une sorte de thé au lait un peu épicé, et bien sûr pour les lassis, cette boisson à base de yahourt sucré froid, parfumé avec le fruit de votre choix (mon préféré, à la banane), passé au mixeur.
Mon envie immédiate, tout de suite : me télétransporter à Paris, ou mieux, Londres, et aller dans un restaurant indien réputé, par curiosité et pour pouvoir comparer à chaud.
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